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BERTHE PLANAT

prenne bien que je n’ai pas douté d’elle et que je ne viens pas lui demander de se justifier vis-à-vis de moi ? C’est pour elle, pour son avenir, qu’il importe de confondre les scélérats qui ont mis en circulation ces turpitudes… Qui est-ce ? Mais qui est-ce ?… » L’angoisse de cette question fut soudain si forte qu’une tentation assaillit le jeune homme : ordonner à son cocher qu’il retournât au Grand-Comptoir, monter au cabinet de son beau-père, lui arracher le nom de la personne ou des personnes dont il tenait ces immondes racontages. Sa main se leva vers le timbre et retomba sans que le signal eût retenti. — « Non. Je ne le reverrai pas ainsi, » se dit-il. « Après la manière dont je l’ai quitté, je me dois de lui apporter la preuve qu’il a été trompé, car il l’a été. Tel que je le connais, aucun motif ne l’aurait décidé à parler de quelqu’un comme il a parlé de Berthe, s’il avait eu même un doute. Il a été trompé… Par qui ?… » Le respect est, avec le mépris, le plus involontaire de nos sentiments. Toute la partialité de l’affection la plus passionnée ne peut détruire l’un, ni les violences de la rancune la plus inique abolir l’autre Le jugement que Lucien portait sur la loyauté de son éducateur n’avait pas été entamé par sa colère. Cette estime pour le caractère de Darras ajoutait, quoi que le jeune homme en eût, un poids singulier à son témoignage. Un scrupule en suppose d’autres. Quiconque est incapable de mentir l’est aussi de répéter des assertions non vérifiées. Lucien ne se formulait pas ce raisonnement, mais ce simple rappel des vertus de son beau-père suffit pour donner comme un autre ton à sa pensée. Involontairement, il se prit à repasser l’histoire entière de son intimité