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UN DIVORCE

manifestée contre son ménage par son beau-fils l’avait blessé au plus intime de sa vie conjugale ; et son affection pour ce cruel enfant restait si entière qu’il continuait de le plaindre malgré cela, d’une pitié aussi spontanée, aussi désintéressée que celle de la mère. L’idée de l’épreuve que Lucien traversait dans ces moments mêmes lui était horriblement pénible. Il avait dû être l’ouvrier de cette opération chirurgicale, — on se souvient qu’il avait défini en ces termes son rôle d’avertisseur. — Mis en demeure de recommencer, il eût recommencé, et de nouveau dénoncé l’indignité de cette Berthe Planat, sur laquelle il fallait que Lucien fût éclairé. Il ne doutait pas qu’il ne l’eût sauvé d’un grand danger, mais au prix de quelles larmes ! Il voyait en imagination ces larmes couler sur le visage du, jeune homme. Il les voyait, il sentait Lucien souffrir, et les questions angoissées de la mère éveillaient un écho douloureux au plus profond de son être. Comme elle, il se demandait : « Où est-il ? Que fait-il ?… » Et, en dépit de ses propres raisonnements, lui aussi, il avait peur.

Il manquait à Darras et à sa femme, pour se rendre un compte exact du drame qui allait se jouer dans le cœur de Lucien, une donnée essentielle. Les renseignements transmis à l’ingénieur du Grand-Comptoir par son policier ne lui avaient appris ni la nature vraie des relations qui unissaient le jeune homme à Berthe Planat, ni l’histoire complète de celle-ci. Qu’elle fût la maîtresse de son beau-fils, le beau-père n’en doutait pas. Il n’avait même pas discuté cette hypothèse, et, comme on l’a vu, la mère l’avait admise sans hésiter. Disons--