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BERTHE PLANAT


Lucien nous donnerait ce chagrin ?… Que fait-il ? Où est-il ? Ah ! Comme je voudrais l’avoir là, déjà !… »



III
berthe planat

Que de sentiments, et combien profonds, Gabrielle avait fait tenir, sans les exprimer, dans le demi-aveu de cette supplication ambiguë : l’angoisse de ses scrupules religieux, avivée par cette foudroyante survenue de l’épreuve, — l’appréhension des luttes déchirantes qu’elle devrait soutenir quand les troubles encore cachés de sa foi renaissante seraient révélés à son mari, — la certitude qu’ils le seraient, et bientôt, tant elle étouffait de se taire, — le remords anticipé de cette douleur qu’elle infligerait, malgré elle, à ce mari si généreux, si droit, si tendre, — avec cela, l’épouvante devant l’inconnu de cette passion de son fils pour une femme évidemment bien dangereuse ! De ces sentiments, le dernier était le seul qu’Albert Darras pût deviner. C’était aussi le seul qu’il partageât. Il l’éprouvait à un degré plus intense encore que la mère, ayant dans l’oreille les mots proférés par Lucien, lors de leur explication, avec quel regard et de quel accent ! Il s’était promis qu’il tairait à sa femme le détail de cette terrible scène, et l’entretien des deux époux s’acheva en effet sur un nouvel effort du beau-père pour rassurer la mère, alors que la soudaine découverte chez son beau-fils d’idées à son égard qu’il ne soupçonnait pas le rendait si inquiet. Cette inquiétude