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UN DIVORCE

présent, et c’est quand même une grande douceur…

Il l’embrassait de nouveau, en prononçant ces paroles qui firent si mal à la pauvre femme qu’elle en aurait crié. Elle les écoutait, et elle avait encore la robe qu’elle avait passée pour aller chez le Père Euvrard, il y avait trois heures, au moment où son mari engageait avec son fils cette explication violente et douloureuse, et pour qui, sinon pour elle ? Le remords du secret qu’elle gardait à l’égard de cet homme loyal, sur tout un ordre de ses sentiments et le plus intime, la saisit soudain avec une force extrême. Le courage de parler s’éveilla en elle. Sa bouche s’ouvrit pour l’aveu. Elle commença : — « Écoute, Albert… ». D’un coup, et dans l’éclair d’une intuition paralysante, elle aperçut les conséquences immédiates de cet aveu, si elle l’achevait maintenant : cet homme touché soudain dans ses convictions les plus chères, son étonnement, sa souffrance, un déchirement entre eux et une désunion, quand ils avaient tant besoin de se rapprocher dans une action commune. Il ne s’agissait plus d’eux seulement. Il s’agissait de Lucien. Elle se sentit la captive de ce silence derrière lequel ses timidités s’étaient abritées si longtemps, et comme il répétait : — « Qu’y a-t-il ?… Que veux-tu me dire ?… » elle se tapit contre lui en jetant cette exclamation énigmatique : — « Mon ami, promets-moi que tu ne m’aimeras jamais moins, quoi qu’il arrive… »

— « Et que peut-il arriver, » interrogea-t-il encore, « unis comme nous sommes ? »

— « Je ne sais pas… » gémit-elle. « Tu vois bien comme l’épreuve surgit sans qu’on l’attende ! Est-ce que nous soupçonnions, voici un an, que