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UN BEAU-PÈRE

mari, « si elle arrivait à lui persuader qu’elle a été calomniée ? »

— « Elle ne le pourra pas, » répondit Darras. Méjan existe. Je te répète que je l’ai nommé. L’enfant existe. Lucien sait où il est. Comment veux-tu que cette fille l’empêche de contrôler par lui-même ce que je lui ai dit ?… »

— « Si pourtant elle l’en empêche ?… »

— « Je m’adresserai au ministère de l’Intérieur, alors, » reprit Albert. « Tu sais que j’y ai des amis dévoués. Je me procurerai des pièces administratives, s’il le faut, devant l’évidence desquelles rien ne tiendra… »

— « Et s’il l’aime assez pour passer outre, même à cette honte ?… »

— « Lui ? Ne calomnie pas ton fils, Gabrielle. On a pu le tromper, précisément parce qu’il est toute noblesse, toute générosité. Mais le corrompre, mais l’avilir, cela jamais !… »

— « Ah ! mon Albert, c’est toi qui es si noble, si généreux, » dit-elle en lui prenant la main cette fois et la baisant, d’un mouvement si rapide qu’il ne put s’y dérober. « Tu le défends. Ah ! merci !… »

— « Je ne suis ni noble, ni généreux, » répondit-il. « C’est bien plus simple, je t’aime. Nous n’avons qu’une âme, qu’un cœur. Comment veux-tu que je trouve en moi pour ton fils d’autres sentiments que les tiens ?… C’est d’être uni à toi par cette intimité absolue, totale, qui me rend facile de lui pardonner… Je lui en ai voulu, ces temps-ci, c’est vrai. Sais-tu de quoi ? D’être la cause que je gardais, à part moi, le secret de mes soupçons. Oui, cela m’a coûté de me taire, d’avoir des pensées que je ne te disais pas. Tu les connais toutes à