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UN DIVORCE

Quand il va être convaincu que tu lui as dit la vérité, comme il souffrira ! Ah ! tu le connais bien. Oui, il reviendra. Il voudra te parler, et il n’osera pas… Tu me laisseras le voir la première et lui répéter combien tu es resté bon pour lui, même après sa faute… » Elle éclata en sanglots, et, se serrant plus étroitement contre son mari, elle gémissait : — « Ah ! Ne m’en veuille pas… Je devrais le juger si sévèrement !… mais c’est mon fils, mon unique fils !… »

— « Ma chère Gabrielle !… » dit Albert Darras, en la pressant lui aussi dans ses bras. « Voilà justement ce que je voulais te demander, de te consacrer entièrement à lui dans la crise morale qu’il va traverser, de n’être plus que mère… Je te le laissais entendre tout à l’heure, j’ai senti, dans ma conversation avec Lucien, qu’il me manquait vis-à-vis de lui cette autorité du sang, que tu auras, toi… Je suis sûre de ton cœur. Je viens encore de le constater, tu nous aimes tous deux comme tu sais aimer, si délicatement, si profondément. Il ne faut pas que tu aies jamais à choisir entre nous… Tu vas donc t’occuper de lui. Tu me le ramèneras, rien qu’en le ramenant à toi… Peut-être le voyage auquel j’avais pensé ne conviendrait-il pas en ce moment. Lucien aura besoin de plus de gâteries. Tu t’en iras avec lui, en Italie, par exemple, s’il le faut. La grande affaire, c’est que nous le sauvions de cette femme, qui a trop savamment manœuvré pour n’avoir pas des intentions très suspectes. Elle est du moins démasquée, c’est un premier point et le plus important peut-être… »

— « Si elle ne l’était pas, cependant ?… » dit la mère. « Oui, » insista-t-elle, sur un geste de son