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UN DIVORCE

tait, tenté par l’occasion, ce serait le signe d’abord qu’il était moins pris que je ne supposais. Ce serait, surtout, l’absence assurée, par suite la guérison, sans que j’eusse à trancher au vif de ses illusions. S’il refusait, j’aurais un prétexte immédiat pour l’attaquer sur les motifs de ce refus. Je lui dirais alors ce que je savais de sa conduite, et le reste… Ainsi ai-je fait. Ce matin, je me suis arrangé pour me trouver sur son passage, en bas, comme il se préparait à sortir. Je lui ai demandé de venir à mon bureau, vers une heure et demie, sous prétexte de l’entretenir d’une affaire très sérieuse. J’ai vu que le choix de l’endroit l’étonnait. Je lui en ai donné comme raison mes occupations de la matinée, qui ne me permettaient pas un quart d’heure de loisir, et mon désir que cette conversation restât tout à fait entre nous. Ma vraie raison était que mon bureau confine à celui de Delaître. Je voulais profiter de ce voisinage, au besoin, pour les mettre en présence et les engager l’un vis-à-vis de l’autre, définitivement. Lucien n’a pas été ma dupe. À ses yeux, j’ai compris qu’il se savait deviné. Il n’est de nouveau pas rentré pour le déjeuner. J’en ai conclu qu’il était allé rue Racine, se concerter avec sa complice… Quand je suis arrivé à mon bureau, il m’y avait devancé. La conversation s’est engagée entre nous sur le ton, déférent mais surveillé de sa part, affectueux mais prudent de la mienne, qui est le nôtre depuis cette année. Dès la minute où j’ai prononcé le mot de voyage, je l’ai senti se contracter. Sa voix s’est faite brève, son geste nerveux. Il a refusé net. Il était cassant dans ce refus, mais très correct encore… Je lui ai dit alors ce que je devais lui dire. Il en sait à présent autant