Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
UN BEAU-PÈRE

liaison avec Mlle Planat, la naissance de l’enfant, tout enfin. C’est dans le sursaut affolé de sa révolte contre cette honte soudain découverte qu’il m’a dit des mots que, certes, je n’aurais jamais cru entendre de sa bouche. Pourtant, j’aime mieux cela. Oui, j’aime mieux qu’il ait senti violemment que bassement… Je n’ai pas douté une minute d’ailleurs qu’il en fût ainsi. Quand j’ai su qui était cette Berthe Planat, j’ai été persuadé que Lucien, lui, ignorait tout. Raison de plus pour agir vite et l’arracher aussitôt à une intimité dangereuse. Le simple énoncé de la vérité devait y suffire. Je me décidai donc à la lui dire, et à avoir avec lui une explication complète. Je me rendais bien compte que s’il ignorait réellement tout, comme j’en étais persuadé, j’allais exécuter une véritable opération chirurgicale, et guérir ce malheureux, en le torturant. La pitié et la sagesse m’ordonnaient d’avoir un remède tout prêt. Il n’y en a qu’un à des passions de cet ordre : l’absence. Il fallait que Lucien quittât Paris, pour un certain temps. Un heureux hasard voulut que j’apprisse, ces derniers jours, le départ prochain de mon collègue Delaître. Il se sent fatigué. Il a demandé un congé, et le conseil l’envoie faire le tour du monde par l’Amérique, le Japon, les Indes, l’Égypte. Il examinera nos succursales d’outre-mer par la même occasion. Il voudrait emmener quelqu’un pour lui servir de compagnon plus encore que de secrétaire. C’était une chance unique. J’ai parlé de Lucien à Delaître. Je l’ai trouvé ravi de mes ouvertures. Il ne restait qu’à parler à Lucien lui-même. Je me suis dit qu’avant de prononcer le nom de Mlle Planat, le mieux était de lui offrir simplement la facilité de ce beau voyage. S’il accep-