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UN DIVORCE

roger franchement son garçon. Il me promit d’agir le jour même. Il ne put pas me donner de renseignements précis, mais ce qu’il me rapportait était gros de conséquences. Tu vas en juger. Ernest Huard manifesta une répugnance à répondre sur Lucien, qui prouvait la gravité de la situation, et, — tu seras étonnée autant que je l’ai été moi-même, — abrita sa prétendue ignorance derrière ce prétexte que l’autre passait maintenant ses matinées dans les hôpitaux, ses après-midi aux cours de médecine ou au Muséum, et ne venait presque jamais plus à l’École de droit ! Ernest s’en étant montré surpris un jour qu’ils s’étaient rencontrés, Lucien lui avait annoncé son intention probable de changer de carrière et de se faire médecin. »

— « Se faire médecin ?… » répéta la mère. « Et il ne nous en a jamais parlé !… Quelle folie, quand avec sa fortune et l’appui de tes amis, sa carrière aux Affaires étrangères est toute tracée, si facile, si belle. Bouteiller n’attend que son examen pour le prendre dans son ambassade… Médecin ? mais c’est toutes ses études à recommencer !… D’ailleurs, je ne saisis pas quel rapport il peut y avoir entre cette aberration et la femme qui te préoccupe ?… »

— « J’y arrive… » reprit Albert Darras. « Tout comme toi, au premier moment je n’ai pas démêlé l’attache entre cette baroque idée et la passion dont je le croyais possédé. Pourtant le fait qu’il eût entrepris des études médicales en se cachant de nous à ce degré me faisait soupçonner que la personne du restaurant n’était pas étrangère à cette résolution… Je me décidai, avant de pousser plus loin l’enquête indirecte, à surveiller moi--