Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
UN BEAU-PÈRE

superstitieuse, qui grandissait dans la femme divorcée, depuis le début de cet entretien. Il était tout à son récit, qu’il continua :

— « C’est pour ce motif que je m’étais arrêté devant son silence, quand je n’avais encore que des soupçons. Cette fois et après cette rencontre, je tenais un élément plus précis. La physionomie de cette jeune femme m’avait laissé sous une impression de réel malaise. Ce n’était pas la fille vulgaire du Quartier Latin qui peut ne représenter qu’une aventure dégradante, mais passagère… Bref, je me décidai à une enquête dont j’avais le devoir comme ton mari. Oui, comme ton mari. Je suis de ceux, tu le sais, qui prennent très au sérieux ces articles du Code dont la lecture donne au mariage civil, dans une salle de mairie, une solennité pour moi plus grande que les vaines pompes de l’Église. Le mari doit protection à sa femme, — protection physique, protection morale. Je te devais de te défendre contre le danger moral dont tu pouvais être menacée dans ton fils. Tout devoir suppose le droit de l’accomplir. J’avais donc le droit d’employer tous les moyens honnêtes pour apprendre toute la vérité d’abord. Du moment que Lucien se montrait en public avec cette femme, d’autres que moi les avaient rencontrés. Sa liaison était certainement connue de ses camarades. Je pris le parti d’en avoir le cœur net, et, sans tarder, en m’adressant précisément à Huard, dont le fils aussi fait son droit. Trente ans d’une amitié qui a commencé avant l’École m’assuraient qu’il ferait pour moi ce que j’aurais fait pour lui. Je lui confiai donc mes inquiétudes, quand nous fûmes seuls, après notre déjeuner, et je lui demandai d’inter-