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UN DIVORCE

— « C’est à ce moment-là que tu aurais dû m’avertir, » dit Mme Darras. La petite phrase de son mari contre le confessionnal avait de nouveau attiré sur ses lèvres une protestation. Cette plainte qu’elle n’avait pas osé proférer passait dans ce reproche et aussi sa tendresse pour les deux hommes, dont le conflit allait tant la faire souffrir. — « Une mère, » continua-t-elle, « obtient de son fils des aveux qu’il refuse même à un père. Il m’aurait parlé. Vos caractères ne se seraient pas heurtés… Ah ! mon Albert ! Tu as cru m’épargner une douleur. Il n’y en a pas de pire : savoir que vous avez échangé des mots de dispute, toi et lui, lui et toi… »

— « Les choses en seraient au même point, » répondit Albert Darras, « et tu en aurais souffert plus tôt… D’ailleurs, je n’avais que des présomptions, fondées sur des raisonnements invérifiés, et invérifiables. Lucien t’aurait parlé, dis-tu ? Non. Tu te serais butée à un parti pris, dont j’ai l’explication aujourd’hui. Va, cette créature l’a bien conquis, et il aurait défendu son secret, même contre toi. C’est un hasard qui m’a mis sur la trace. Il y a près de huit mois que je soupçonne cette intrigue, et je n’ai de faits positifs que depuis six semaines. C’était dans la seconde quinzaine de janvier, le jour où j’ai déjeuné chez Huard. Tu te rappelles que je suis parti très tôt, pour marcher un peu. J’avais pris le plus long et passé par l’Odéon, afin d’y donner un coup d’œil aux livres nouveaux. J’étais rue Racine, en train de me diriger, sans me presser, vers la rue Thénard, où demeure mon ami. Je savais que sa leçon à Polytechnique ne finit qu’à midi. J’avais donc le