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UN BEAU-PÈRE

ment le second mari. « De ce côté du moins je suis tranquille. J’ai le bénéfice de la loyauté avec laquelle je l’ai fait juge entre nous et cet homme, quand il a eu ses dix-huit ans. Il a lu l’arrêt de séparation et les plaidoiries. Il est armé contre cette influence-là, en admettant, ce que je ne crois guère vraisemblable, qu’elle voulût s’exercer. Pourquoi maintenant ?… Non. Il est amoureux, et d’une femme dont il y a tout à craindre, tout, entends-tu ?… Mais je reprends la suite des faits. Le voyant donc changer et soupçonnant la cause, j’ai essayé de l’interroger sur ses sorties continuelles, — sans les lui reprocher, bien entendu, — sur les camarades qu’il fréquentait, sur ses soirées et leur emploi. Je l’ai trouvé noué, crêté, le cœur fermé. Ce retrait devant mon affection ne me permettait pas le doute. Il sait mes principes et que je n’admets pas le commode proverbe : Il faut que jeunesse se passe. Ces relâchements de conscience sont la honte des pays catholiques. C’est la commodité du confessionnal qui les a produits. Quand on considère la personne humaine comme sacrée, au contraire, on a l’horreur de cet égoïste et dégradant abus d’autrui que représente la débauche. Il y a deux ans, lorsque Lucien est parti pour le service, nous avons touché ce point. J’ai eu la joie de constater qu’il pensait exactement comme moi. Lorsqu’il est revenu, de même. L’affreuse atmosphère de la caserne ne l’avait pas gâté… Il m’était si ouvert alors, si transparent jusqu’au fond du cœur !… Du jour où il s’est fermé, j’ai compris qu’il me cachait un sentiment dont il rougissait… J’en ai conclu qu’il était tombé, lui aussi, comme tant d’autres… »