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UN DIVORCE

« remonte à l’été dernier. C’est alors, tu t’en souviens, qu’il a commencé d’être moins assidu aux repas ici. Tu t’en es inquiétée. J’ai essayé de calmer tes inquiétudes. Je t’ai rappelé qu’il avait vingt-trois ans, qu’aux Sciences politiques et à l’École de droit il rencontrait beaucoup de garçons de son âge absolument libres. Une comparaison entre leur indépendance et un assujettissement même très affectueux risquait de nous l’aliéner. Je pensais tout ce que je t’ai dit. Je ne t’ai pas dit tout ce que je pensais. Ces absences de plus en plus fréquentes m’inquiétaient autant que toi, et surtout le changement de son humeur. Je le voyais qui se désintéressait de notre vie, de toi, de moi, de sa sœur. Il était de corps avec nous, quand il y était, mais son esprit était ailleurs. Je n’ai pas hésité sur le motif. Il n’y a qu’une influence de femme qui puisse transformer ainsi un jeune homme et si vite… »

— « Tu crois qu’il est amoureux ? » demanda la mère. Un soulagement que Darras n’observa pas se peignit sur son visage tendu d’anxiété. Que le désaccord survenu entre son mari et son fils eût pour cause un écart de conduite de ce dernier, ce n’était qu’un ennui. Les plus pures des femmes ont une secrète indulgence pour ces égarements. Celle-ci ne redoutait véritablement que les conflits qui intéressaient les relations de famille instituées par son second mariage. Elle ajouta : — « Moi aussi, en le voyant se détacher de la maison, car je l’ai bien remarqué, je m’étais fait mes idées… » Et avec un peu d’hésitation : — « J’appréhendais une autre influence… Je craignais qu’il ne vît beaucoup M. de Chambault. »

— « Il ne te ferait pas cela… » répondit vive-