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UN BEAU-PÈRE

t’expliquer que, mis en présence d’un grave parti à prendre à son endroit, je m’en sois tu vis-à-vis de toi. Je me suis demandé comment se comporterait un vrai père ? Je me suis reconnu le droit d’en assumer toutes les responsabilités, avec tous les devoirs. J’ai voulu t’éviter, te sachant si tendre, les contre-coups d’une lutte dont je ne prévoyais pas l’issue, je l’avoue. Pardonne-moi de t’avoir caché ce secret, ma chère femme. C’est le premier. J’ai tant redouté que d’y être mêlée réveillât en toi de très tristes souvenirs !… Je t’ai dit souvent, et je n’ai pas changé d’avis : l’homme est ce que le fait son éducation. La théorie de l’hérédité toute-puissante n’es£_qu’un reste de cette vaste injustice organisée qui fut l’Église… Mais le préjugé est si enraciné que les esprits les plus résolument rationnels en sont infestés. C’est ainsi que, moi-même, j’ai toujours tremblé de retrouver dans Lucien la trace de certaines ressemblances morales. Je t’avais trop vue obsédée de cette crainte. J’ai désiré t’en épargner le retour… Me comprends-tu et me pardonnes-tu ?… »

— « Je comprends que tu m’aimes et que tu as toutes les délicatesses, » répondit Mme Darras. Cette allusion à son premier mari l’avait fait tressaillir. Elle implora : — « Mais j’ai peur… Que s’est-il donc passé ? Qu’a fait Lucien ? Parle vite… »

— « Te voilà bien émue, ma pauvre Gabrielle, » dit Albert, « et comme j’ai tant craint de te voir !… Reprends-toi. Nous avons à envisager une difficulté sérieuse, très sérieuse, avec réflexion. Par conséquent, soyons calmes, et appuyons-nous sur des faits… L’origine de la scène qui vient d’éclater entre Lucien et moi, » continua-t-il après un silence