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UN DIVORCE

Un ordre minutieux régnait sur les rayons et sur le large bureau. L’acte d’accusation dressé contre le beau-fils par le beau-père prenait une autorité extraordinaire dans ce cadre d’objets familiers où se devinait, partout empreinte, l’intransigeante rigueur d’un caractère absolument strict, incapable d’un à peu près dans les circonstances petites ou grandes. Même dans cet instant de crise aiguë, ce besoin de netteté poursuivait Darras et il essayait d’ordonner sa confidence : — « Pour que tu saisisses bien la situation, » continuait-il, « dans sa vérité, il faut que je te mette au courant d’une histoire dont j’avais espéré ne jamais te parler… » Et, sur un geste d’étonnement de Gabrielle : — « Tu vas comprendre pourquoi. Lorsque tu as consenti à m’épouser, je savais combien tu avais souffert. Je me suis donné ma parole que je réparerais ce que je pouvais réparer de ta vie passée, et tu connais mon grand principe : se tenir à tout prix toutes les paroles que l’on se donne. C’est notre religion, à nous qui passons pour n’en pas avoir ; c’est la plus belle, c’est la seule vraie, celle de la conscience. Tu avais un fils. J’ai pris vis-à-vis de moi-même l’engagement de toujours agir avec lui comme s’il était aussi le mien. Cet engagement, je l’ai rempli. Je n’y ai pas eu de mérite. J’aurais aimé cet enfant pour cette seule raison qu’il était à toi. Je l’ai aimé parce qu’il était lui. Si, comme je le pense profondément, les convictions sont le tout de l’homme, je peux réellement l’appeler mon fils. C’est moi qui lui ai donné les siennes, qui lui ai façonné ses manières de sentir, ses doctrines, sa volonté… Du moins, je le croyais… » rectifia-t-il, avec une amertume singulière. « Tout cela est pour