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UN DIVORCE

— « Mlle Schultze a exagéré… » répondit Mme Darras. Son cœur avait battu, quand Albert avait prononcé ce « nous ». L’équivoque sur laquelle leur ménage posait depuis tant de jours s’y résumait toute. Qu’il lui avait souvent parlé de la sorte, ces derniers temps ! Et toujours la terreur de la discussion immédiate avait paralysé en elle la force d’affirmation. Elle s’était tue, ou bien elle avait détourné la conversation, comme elle fit cette fois encore : — « Jeanne n’est pas plus soigneuse pour ce travail-là que pour les autres, » continua-t-elle, « mais c’est le seul où elle compose avec des petites filles qu’elle connaît. Son amour-propre en est surexcité… » D’ordinaire, quand elle employait ces subterfuges pour échapper à un entretien vrai, elle éprouvait ce mélange de soulagement et de honte, si particulier à la timidité. En ce moment elle était trop près de sa visite au Père Euvrard. Les mots de l’apôtre qu’il avait cités : confesser de bouche ce que l’on croit… résonnèrent soudain dans sa pensée. Un remords la poignit, auquel succéda un sursaut de surprise effrayée, à écouter Albert lui répondre :

— « Tu dois avoir raison, tu suis Jeanne de plus près que moi… D’ailleurs, fondées ou non, mes craintes sur ce point regardent l’avenir, au lieu que j’ai à te parler de choses très importantes, qui intéressent le présent… Prépare-toi à avoir du courage, ma bien chère amie, tout ton courage. Si je suis rentré de meilleure heure qu’à l’habitude, et si j’ai désiré te voir aussitôt, c’est qu’un fait excessivement grave se produit. J’ai considéré qu’il était de mon devoir que tu en fusses informée aussitôt et par moi. Je viens d’avoir, avec Lucien,