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UN BEAU-PÈRE

l’avait encore irrité. Il avait eu cette sensation, toujours douloureuse pour lui, d’un monde à côté de son monde. L’honneur l’obligeait d’y laisser grandir sa fille :

— « Tu as bien vu », commença-t-il, en revenant sur sa justification de tout à l’heure, « que je ne faisais à Jeanne aucune remarque sur le fond même de son travail… Et pourtant !… Mais je t’ai promis. Un engagement pris ne se discute plus. Il se tient… Je continue néanmoins à penser que j’avais raison dans mes objections, lorsque tu m’as demandé cette promesse, avant notre mariage. On n’aperçoit dans la pratique religieuse qu’une mécanique commode d’habitudes morales. On l’adopte, par routine, et aussi parce que l’on prévoit, pour plus tard, des difficultés dans l’établissement d’une jeune fille élevée hors de toute Église. On ne saisit pas d’abord les inconvénients de ce compromis… Et puis, on risque de développer dans une nature trop nerveuse le dangereux penchant au mysticisme. Tu as entendu Mlle Schultze. Tu vois comme le goût des émotions religieuses grandit déjà dans la sensibilité de la petite… Ce que je t’en dis n’est pas un reproche, c’est une invitation à veiller. Ne permets pas qu’elle aille trop loin de ce côté. Avertis cette bonne Mlle Schultze. Puisque nous voulions une Allemande pour Jeanne, nous aurions eu intérêt à la choisir protestante. Elle eût plus facilement servi de contrepoids… Mais, encore une fois, ce n’est pas un reproche. Songe seulement à l’avenir et aux luttes que nous pourrions avoir à soutenir, si, pensant, nous, comme nous pensons, Jeanne, un jour, s’exaltait par trop dans le sens contraire. »