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UN BEAU-PÈRE

trahissait le battement de ses paupières aux longs cils. Le père, d’un doigt délié d’homme de cabinet, suivait, ligne par ligne, le devoir de la petite fille, et il énonçait des remarques dont le caractère aurait dû rassurer Mme Darras, — elles ne portaient que sur des détails d’un ordre matériel :

— « Il faut prendre garde à ne pas faire tes u comme des n, et tes n comme des u, » disait-il. « Regarde, dans les mots : absolution, ici, et, là, surnaturel, il est impossible de distinguer ces deux lettres l’une de l’autre. Jugez-en vous-même, Fraulein. »

Et il tendait la copie à une autre personne qui se tenait debout derrière Jeanne, et dont la lourde tête carrée, les cheveux d’un blond pâle, les prunelles bleues, le regard patient accusaient l’origine germanique. Mlle Mina Schultze, visiblement aussi intimidée que son élève, répondait à l’observation du père avec l’accent que l’on devine :

— « C’est que Jeanne écrit beaucoup d’allemand, monsieur Darras, et vous savez comme nos u ressemblent à nos n… »

L’entrée de Mme Darras eut pour effet d’éclairer à la fois la physionomie de la pauvre gouvernante et celle de la petite fille. Le mari, lui, ne put dissimuler une certaine gêne. Il répugnait à cet homme, aussi loyal qu’il était sectaire, de paraître surveiller une instruction religieuse qu’il s’était engagé à respecter. La phrase par laquelle il accueillit la nouvelle venue fut comme un geste de protestation contre ce soupçon :

— « J’étais monté pour demander à Jeanne si elle savait à quel moment tu rentrerais… »