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UN BEAU-PÈRE

dû être la sienne. Là se bornait l’ingérence du libre-penseur passionné dans une éducation qu’il abandonnait à sa femme, sur un point essentiel ; il l’avait promis. Il était très rare qu’il parût dans la salle d’études. Aussi Mme Darraës fut-elle très étonnée, quand, arrivée au second étage, et devant cette nouvelle porte, elle entendit la voix de son mari Il avait eu la même fantaisie qu’elle, et, à peine rentré, il était monté chez leur fille. Croyant reculer le moment de le revoir, Gabrielle l’avait avancé. Mais, le revoir auprès de l’enfant, c’était posséder dès l’abord, un terrain de causerie, c’était éviter ce trouble des premières paroles, dont elle avait redouté les révélations. D’ailleurs, une inquiétude nouvelle surgit en elle, qui, du coup, paralysa l’autre. Elle se rappelait que ce jour-ci, le vendredi, était pour Jeanne son jour d’analyse, celui où elle devait résumer, la plume en main, la leçon du catéchisme écoutée la veille. Quel motif Albert avait-il eu de venir dans la salle d’études, précisément aujourd’hui ?

Quand elle eut ouvert la porte sans frapper, elle put voir que son mari tenait entre les mains la feuille de papier sur laquelle Jeanne avait commencé d’écrire. La baie vitrée qui servait de fenêtre éclairait d’une même lumière les visages du père et de l’enfant, l’un penché près de l’autre. La mère demeura saisie à cette seconde d’une ressemblance qui n’était pas toujours si complète. La nervosité de la petite fille se reconnaissait à ce signe : sa physionomie mobile s’était instinctivement modelée sur celle de son père, tant cette présence insolite lui donnait d’émotion. L’ingénieur était un homme de quarante-sept ans, jadis très brun, comme en