Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
UN DIVORCE

défiance ? Il lira dans mes yeux que je lui mens… » Dans ce ménage, dont l’intimité avait été si complète durant tant d’années, celui des deux époux qui rentrait le second, avait l’habitude de passer aussitôt chez l’autre. Le premier étage de l’hôtel, réservé à eux deux, était distribué de telle manière qu’ils s’entendaient presque inévitablement aller et venir. Il se composait de cinq pièces : une vaste chambre à coucher, un vaste cabinet de toilette pour elle, pour lui une chambre où il s’habillait, — il pouvait, au besoin, y dormir sur un canapé transformable, — un petit salon, et, à côté une bibliothèque-fumoir. Il s’y tenait toujours quand il était seul. Le grand escalier de bois garni de tapisseries et de plantes vertes, aboutissait à un large palier ouvert, décoré en antichambre et sur lequel ouvraient les différentes pièces. Gabrielle s’y arrêta, le cœur battant… Albert était là, derrière une de ces portes. Peut-être savait-il déjà sa présence par son coup de sonnette. Il allait paraître… Puis, comme la porte ne s’ouvrait pas, elle voulut profiter de ce répit pour mettre un peu de temps encore entre son émotion et cette entrevue. La pensée lui vint de monter au second étage, réservé à ses enfants, pour embrasser d’abord sa fille, qui devait être occupée à ses devoirs, dans la salle d’études. La mère avait obtenu du père, qui aurait voulu envoyer Jeanne dans un lycée de jeunes filles, que l’enfant travaillât à la maison, sous la surveillance d’une institutrice. Il avait seulement précisé la direction de ce travail : elle suivrait le même programme qu’au lycée. Un professeur d’un des grands collèges de la rive gauche la faisait composer tous les huit jours avec la classe qui eût