Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42
UN DIVORCE

mort conseiller à la Cour de cassation, — et celui de la noblesse à racines terriennes. — Ce premier mari dont la pauvre femme avait raconté la brutale goujaterie à M. Euvrard, avec tant de révolte après des années, appartenait très authentiquement, quoique indigne, à une bonne famille du Rouergue, celle des comtes de Chambault. — Ces diverses influences s’étaient manifestées chez Darras, âpre tempérament de plébéien, fils de plébéien, dont la pièce maîtresse était la volonté, par un effort incessamment renouvelé pour accroître sans cesse sa fortune. C’était accroître le luxe de Gabrielle. Ce dévouement infatigable, si prodigue en gâteries et doublé d’une sollicitude si ardemment tendre, s’évoqua dans la pensée de celle qui en avait été le constant objet, sur le seuil de cette demeure. Ses émotions d’épouse passèrent du coup au premier plan de sa sensibilité. Il se fit dans son cœur un mouvement de retour vers cette intimité dont sa visite chez l’Oratorien et les méditations consécutives avaient été le reniement, et, redevenue celle qui tout à l’heure se rebellait, au nom du bonheur reconquis, contre l’inflexibilité de la loi catholique, elle se dit :

— « Non, ce n’est pas possible. Ce n’est pas vrai. Dieu ne serait pas Dieu, s’il nous condamnait, Albert et moi, pour nous être aimés comme nous nous sommes aimés… Je viens de traverser un cauchemar. Je ne reverrai plus ce prêtre. Avec ses manières douces et son air de bonté, il est pire que l’autre. Si l’Église était ce qu’ils la font, elle ne serait pas celle de l’Évangile. Non, je n’ai pas fait le mal. Non, cet amour si loyal, si fidèle, n’est pas maudit. Je veux m’y enfermer, en vivre de nouveau