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UN BEAU-PÈRE

aux appointements fixes de vingt mille francs par an. Sa participation aux bénéfices lui en valait trente autres mille. Celle qu’il épousait possédait de son chef quarante mille francs de rente. Leur ménage était assez riche pour faire figure partout, et Darras avait tenu à ce qu’il fît vraiment figure. La façade élégante de l’hôtel, avec sa porte cochère pour l’entrée des voitures, et les hautes fenêtres de son rez-de-chaussée, disait les projets de grandes réceptions, caressés par l’ingénieur. Des sentiments très complexes l’avaient poussé dans cette voie, si contraire, semblait-il, et à son éducation toute professionnelle et à son caractère. Albert Darras était amoureux et fier de la beauté de Gabrielle, voilà un de ces sentiments. Un autre était sa ferveur politique. Profondément attaché aux idées de la faction alors au pouvoir, il avait désiré que sa femme et lui jouassent leur rôle dans le haut monde républicain. On sait que toute une société de bourgeois riches et de grands fonctionnaires s’est ainsi formée à Paris, depuis trente ans. On lui a souvent reproché d’avoir les mêmes mœurs frivoles, les mêmes goûts de plaisir, les mêmes habitudes de dépense que l’autre société. On ignore que quelques-uns parmi ces Jacobins nantis ont étalé du luxe et tenu des salons, — par devoir ! On entend bien qu’il ne s’agit là que des membres naïfs du plus corrompu et du plus déshonoré des partis. Ils ont cru donner au régime les prestiges d’un système installé. Darras avait été du nombre, avec d’autant plus de complaisance qu’il instituait ainsi une lutte secrète entre les deux mondes où sa Gabrielle avait vécu auparavant : celui de la magistrature encore conservatrice, — M. Nouet était