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UN BEAU-PÈRE

sions. Si je l’avais arrêté, à ce moment-là, pour les lui dire, ne m’aurait-il pas conseillé de tout faire pour qu’Albert et Lucien ne cessent jamais de s’aimer en moi, au cas où ils devraient un jour être profondément divisés ?… Divisés ? Quelle chimère !… D’où le seraient-ils ? Ils pensent d’une même façon sur toutes choses : en religion, en politique. Je n’ai que trop laissé Albert élever cet enfant d’après ses idées… Pouvais-je agir autrement ? Ai-je été coupable ? Je pensais comme eux, moi aussi, ou je le croyais. J’étais sincère. Dieu le sait. Il ne m’en punira pas. Je suis assez malheureuse déjà de ne pouvoir obtenir ce qu’obtiennent des femmes qui ont plus péché que moi. Celles qui ont eu des amants se confessent, elles communient. Et moi, non. Est-ce juste ?… Mais je ne veux plus discuter. Je veux obéir à M. Euvrard sur ce point : accepter, offrir cette peine à Dieu, pour n’en pas avoir d’autres et de pires… Quand je songe qu’il y a des familles, cependant, qui n’ont qu’une foi, où la mère, le père, le frère, la sœur, font la prière ensemble, le soir, vont à l’église ensemble… Moi, je dois me taire à mon mari de cette visite innocente, et si je rencontrais mon fils maintenant qu’il me demandât d’où je viens et que je le lui dise, il ne me comprendrait même pas ! Quand Jeanne verra les autres mères communier et pas la sienne, les autres pères à l’église et pas le sien, il me faudra trouver un mensonge pour que cette pauvre petite âme ne soit pas troublée… Ah ! M. Euvrard a trop raison, quelles misères !… »

Ces pensées n’étaient que le résidu de conscience déposé par de si nombreuses impressions et de si petites, que Mme Darras n’aurait pu dire, par