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UN DIVORCE

Car enfin, que m’a-t-il dit ? Que je pouvais mériter, même hors de l’Église, en remplissant mes devoirs. Quels devoirs ? Celui de mère, d’abord, et je l’ai, ce devoir, envers mon fils aussi bien qu’envers ma fille… Hé bien ! Le devoir envers mon fils en ce moment exige que j’évite tout ce qui diminuerait mon empire sur mon mari… M. Euvrard s’en rend compte pourtant, que des situations comme la mienne donnent si aisément lieu à de grandes difficultés. Quand il a parlé de ces heurts meurtriers entre beau-père et beau-fils, il m’a fait mal. Une seconde, j’ai vu Albert et Lucien en face l’un de l’autre, et se haïssant… » Cette évocation des deux hommes dans cette attitude de lutte correspondait chez l’épouse et chez la mère à tant de pressentiments, à tant d’observations aussi, qu’elle repoussa cette image avec une tension de son être qui la fit instinctivement marcher plus vite, comme pour fuir. Elle ferma les yeux, en secouant la tête. De nouveau elle se répéta : — « Non, ce ne sera pas. Dieu ne permettra pas que cela soit. Il me punit tant déjà, en m’écartant de lui. Ce jour de la première communion de Jeanne me sera si dur, quand il devrait m’être si doux ! Cette souffrance-là, je l’accepterai, je l’offrirai, comme ce prêtre vient de me l’ordonner. Il n’y aura que moi de frappée, pas eux, pas eux ! Ce serait trop cruel. Rien que de m’imaginer qu’ils s’aimaient moins, comme il m’est arrivé, à tant de reprises, cette année, quel supplice ! Et ce n’étaient que des imaginations… C’est étrange pourtant, comme on est tenté de croire vrais les événements dont on a peur. Cette seule petite phrase de M. Euvrard a suffi pour me rendre, en une seconde, l’angoisse de ces appréhen-