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UN BEAU-PÈRE

du même nom où elle habitait. Rassurée sur toutes les indiscrétions, elle s’attardait dans les allées, et elle laissait courir ses pensées. L’entretien qu’elle venait d’avoir se prolongeait dans son esprit. Elle discutait mentalement avec M. Euvrard, comme si l’ascétique silhouette du religieux eût été là, cheminant auprès d’elle :

— « Au revoir ? Il a dit : au revoir… » avait-elle commencé par se répéter, aussitôt la porte franchie. On se souvient que ces dernières paroles du prêtre avaient été accompagnées de cette appellation, particulièrement touchante pour celle qu’il quittait ainsi : « Mon enfant… » Il ne se fût pas servi d’un autre terme, s’il l’eût admise à cette confession dont elle nourrissait la chimérique espérance, quand elle suivait ce chemin en sens inverse, une heure auparavant. Elle se l’était dit et redit cet « Au revoir ?… » comme une question qui ne faisait pourtant pas doute dans sa pensée, et elle y avait répondu de nouveau tout bas, comme elle avait fait réellement tout haut : — « Non. Non. Non. Je ne le reverrai pas… Jamais je ne parlerai de cette visite à Albert. Jamais… Je ne supporterais pas l’expression de ses yeux pendant qu’il m’écouterait. Nous avons déjeuné ensemble ce matin. Il m’a interrogée sur les projets de ma journée, avec tant de confiance, tant de tendresse, comme toujours : et je me suis tue de cette démarche que j’avais décidée pourtant !… Je le connais. Il la saurait, cette démarche, qu’il ne me ferait pas un reproche… Mais quelle ombre sur son visage ! Quelle peine dans son cœur !… Non… Cela ne sera pas… Lui-même, M. Euvrard m’aurait défendu de parler, si j’avais eu le droit de tout lui apprendre.