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UN DIVORCE

Que d’efforts pour nous convaincre, sous l’imminence de certains coups, que nous ne serons pas frappés, que nous ne méritons pas de l’être, que notre dette de larmes est payée ! Cet étrange préjugé soutenait Mme Darras depuis des mois ; il lui permettait de fixer sans trop de crainte certains points noirs apparus sur l’horizon de sa destinée. De jour en jour, elle se sentait plus menacée, et elle s’obstinait, elle s’acharnait à se démontrer que, de ces menaces où sa conscience, de chrétienne malgré elle, reconnaissait l’annonce d’une expiation, celles-là se réaliseraient uniquement qui l’atteindraient seule. Bien fragile assurance ! La preuve en avait été sa terreur, quand M. Euvrard énumérait les catastrophes dont il avait vu tant de divorcées être les victimes. Un autre témoignage était le discours intérieur qu’elle se tenait à elle-même, au sortir de cet entretien. La déception si douloureuse de sa démarche manquée y occupait moins de place que les craintes soulevées, ou mieux renouvelées en elle par une des allusions du prêtre. Elle en avait été touchée au vif de ses craintes secrètes. Elle allait, du pas d’une femme qui n’a plus d’hésitation. À peine si la gêne de l’arrivée l’avait reprise en retraversant la cour, où le concierge-jardinier dressait toujours son pittoresque édicule. L’avait-il seulement regardée ? Et tout de suite elle s’était retrouvée sur le trottoir de la rue Servandoni dont elle avait aimé, cette fois, la solitude et le silence. Elle avait pu se convaincre, d’un seul coup d’œil, que sa sortie de la vieille maison ne serait pas épiée. Cinq minutes plus tard elle était dans la rue de Vaugirard, et, par le jardin du Luxembourg, elle gagnait la rue