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UN BEAU-PÈRE

vorce, ou bien multipliées par lui. Mme Darras n’en percevait distinctement qu’une : celle qui l’atteignait dans son cœur, vis-à-vis de sa fille, et dans sa foi retrouvée. Cette après-midi ne devait pas finir sans la mettre en présence d’un autre danger qu’elle prévoyait depuis des mois ; mais sa prescience demeurait volontairement obscure, vague, inavouée. Nous savons tous combien est vrai le proverbe où le peuple a ramassé tant d’expériences : « Un chagrin n’arrive jamais seul. » Puis, quand il s’agit de nous, et par la plus étrange illusion, nous considérons, au contraire, qu’une grande peine est une garantie contre d’autres, comme si le sort n’avait, contre chaque individu, qu’une somme fixe de rigueur à dépenser. Il n’en est rien. La nature, toujours une sous la variété de ses phénomènes, emploie dans l’ordre moral et dans l’ordre physique des procédés tout pareils. Lorsqu’une maladie résulte, non pas d’un accident, mais de cette disposition générale qui constitue une diathèse, ses accidents se manifestent, non pas sur un point de l’organisme, mais sur plusieurs. Il en va de même du malheur, quand il dérive, non pas de telle ou telle circonstance, mais d’un état. Il s’ingénie à nous atteindre dans les manifestations les plus diverses de notre personne. Les misères se pressent, se succèdent. Une contrariété en suit une autre. Aucune entreprise ne nous réussit. Toutes les hypothèses hostiles se réalisent. Nous parlons alors de malchance, de fatalité. Regardons-y de plus près. Nous reconnaîtrons un effet constant à une cause constante : la méconnaissance prolongée de quelque grande loi. Mais quelles rébellions avant de recevoir cet enseignement !