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UN DIVORCE

enfant ainsi, je cède à un préjugé sentimental. Il le pardonne à la faiblesse féminine. Il m’aime, et il croit que dans le fond de ma conscience je suis en communauté d’idées avec lui. Il a tant tenu à ce que nos pensées n’en fissent qu’une. Ç’a été ainsi bien longtemps… Non, je n’aurais pas la force de lui apprendre que c’est fini… »

— « Alors, » interrogea le prêtre avec un peu d’hésitation, « vous ne lui avez pas dit que vous veniez chez moi ?… »

— « Chez vous ? Non… » fit-elle, avec un accent de terreur à cette seule idée.

— « Et quand vous rentrerez, vous ne lui raconterez pas cette visite ? »

— « Non, » répéta-t-elle.

— « Il faudra pourtant que vous lui en parliez, » dit l’Oratorien. Il répéta : — « Oui, il le faudra. Pour vous d’abord, pour votre propre dignité. Vous ne pouvez pas avoir fait une démarche si grave, et vous en taire à cet homme qui est le père de votre fille, dont vous portez le nom, sous le toit de qui vous vivez. Ce serait un mensonge par omission, par trop contraire à ce programme du moindre devoir que nous tracions ensemble tout à l’heure… Il le faudra, pour moi aussi. Vous ne voudrez pas que je me sois prêté à une visite clandestine. Vous m’avez dit qu’auprès de vous, l’on savait mon nom, que ce nom était même prononcé avec sympathie. Ce sera un motif pour que l’on trouve votre démarche moins extraordinaire. Vous prendrez cette occasion pour cesser un silence, qui est très coupable, avec la foi que vous avez. L’apôtre l’a dit : Il faut croire de cœur pour obtenir la justice, et confesser de bouche ce que l’on croit pour obtenir le salut.