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L’IMPASSE

son mariage, si c’est une fille. Et je ne vous parle pas de cette rancœur, quotidiennement renouvelée, contre la malveillance, avouée ou cachée, hypocrite ou sincère, qu’importe, d’un monde où, malgré tout, le respect de l’union chrétienne demeure intact. Ah ! quelles misères !… Votre lot n’aura pas été le pire, car il s’accompagne d’une grande grâce, puisque vous avez retrouvé la foi. Si vous la méconnaissiez jamais, cette grâce, c’est alors qu’il faudrait trembler. L’action vengeresse de Dieu ici-bas ne s’accomplit point par des événements extraordinaires. La logique de nos fautes y suffit. Elle comporte une partie nécessaire et inévitable, une partie accidentelle et comme flexible, que la Providence peut nous épargner. Voilà pourquoi je vous ai parlé comme je viens de le faire, afin que vous ne pensiez plus jamais comme je vous ai vue penser tout à l’heure. J’ai eu trop peur pour vous !… »

Toutes sortes de sentiments avaient agité Mme Darras tandis qu’elle écoutait ce véritable réquisitoire, dont chaque phrase l’humiliait dans ce second mariage, contracté jadis avec tant d’hésitations, mais si sérieusement et où elle avait concentré sa fierté sentimentale. Chacune aussi allait frapper en elle une touche douloureuse. Ce qui n’était qu’idée pour le théologien qui lui parlait, était pour la catholique, divorcée et remariée, une réalité vivante et saignante. Ce langage presque scientifique, où le professeur et l’apologiste transparaissaient involontairement, l’avait impressionnée à une étrange profondeur, en lui remémorant d’innombrables conversations tenues devant elle par son mari. Elle retrouvait, mises au service de convictions si opposées, des façons de s’exprimer