Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
UN DIVORCE

avez, votre second mari et vous, constitué, dans votre humble sphère, un type de foyer anarchique, d’autant plus funeste que vous y avez donné l’exemple, par vos vertus, de la décence dans l’irrégularité, d’une apparence d’ordre dans le désordre. C’est là ce qui rend si redoutables les égarements des âmes qui ont reçu et gardé de très beaux dons. Leur noblesse native les suit, même dans leurs erreurs. Elles y tombent sans s’y avilir. En dissimulant la laideur du mal, elles le propagent plus dangereusement. Ne cherchez pas ailleurs la raison des difficultés extrêmes que vous rencontrez dans votre effort de retour. Mesurez la grandeur de votre faute à ces difficultés et remerciez Dieu de ne vous avoir pas éprouvés davantage, vous et les vôtres… Il n’y a pas vingt ans que cette détestable loi du divorce a été votée, et si vous saviez combien de tragédies je l’ai déjà vue produire, moi qui confesse si peu ; dans quelles catastrophes j’ai vu sombrer des ménages comme le vôtre, qui n’ont pas compris cette évidence, partout empreinte cependant : toute liberté contraire aux lois de la nature engendre une servitude, tout devoir abandonné un malheur ! J’ai vu des haines fratricides entre les enfants du premier et du second lit, des pères et des mères jugés et condamnés par leurs fils et leurs filles, ici des heurts meurtriers entre le beau-père et son beau-fils, là entre la seconde femme et la fille du mari, ailleurs la jalousie du passé, d’un passé rendu si vivant par l’existence du premier mari, suppliciant le second mari, ailleurs des luttes horribles entre ce premier mari et son ancienne femme autour des maladies de leur enfant, ou, une fois grandi, de ses passions, de ses folies de jeune homme, de