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L’IMPASSE

Car enfin, quand j’étais si malheureuse, l’ayant si peu mérité, l’une m’a permis de refaire ma destinée, loyalement, honnêtement. L’autre exige que je la défasse à nouveau. À peine si elle consent à ne pas m’emprisonner dans un haïssable passé, et elle m’interdit de le réparer… Ah ! monsieur Euvrard, comment voulez-vous qu’à constater cette différence de procédés, tant d’objections que j’ai entendues si souvent ne me reviennent pas ? Cette renaissance de ma foi ancienne, suscitée par le contact avec la piété de ma fille, s’abolit, s’efface. Le doute me reprend. J’en ai tant souffert après ma visite à l’autre prêtre ! Je me dis que les adversaires de l’Église ont raison, qu’elle est un instrument de compression et de mort, que le progrès s’accomplit sans elle et contre elle, qu’en la regrettant comme je le fais, avec une telle nostalgie, je suis la dupe d’un mirage, et que la vérité n’est pas là !…

— « Ne parlez pas ainsi !… » dit vivement l’Oratorien. D’un geste instinctif, sa vieille main s’était posée sur le bras de son interlocutrice, pour l’arrêter dans son blasphème. — « Ne pensez pas ainsi, surtout ne jugez pas Dieu. Ce serait commettre le péché contre l’Esprit, le seul qui ne sera pas pardonné… Vous reprochez à la loi de l’Église sur le mariage de manquer de justice et de charité ? continua-t-il. « Permettez-moi une comparaison très vulgaire, mais très nette. Un bateau se trouve devant un port où l’un des passagers voudrait aborder. Il y va pour lui des plus hauts intérêts moraux et matériels, de revoir un père mourant, par exemple, d’assister à un procès d’où dépend l’avenir des siens. Que sais-je ?… Des cas de peste se sont produits sur le bateau. Les autorités de la