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LA PRISON

quel battement éperdu de cœur ! — le rideau remuer derrière la fenêtre du petit salon, au premier étage, et une silhouette, de lui trop connue, épier son retour. C’était Gabrielle qui l’attendait, dans un tel état d’agitation que, s’étant levée pour aller au-devant de lui, quand elle entendit son pas, elle retomba sur son fauteuil. Lorsqu’il la vit ainsi, toute pâle, les yeux lassés, les joues creusées, avec deux places blanchissantes aux tempes, où, quinze jours plus tôt, ses cheveux étaient encore dorés, une infinie pitié lui noya toute l’âme. Elle balbutiait :

— « M. Euvrard m’a dit tes conditions… »

— « Mes conditions ?… » interrompit-il, « il n’y a plus de conditions. Il n’y a plus que toi, toi qui es là, toi que j’aime, toi que je retrouve, et que je ne laisserai plus jamais partir. »

Et il l’avait saisie dans ses bras, et il lui prenait ses pauvres mains enfiévrées qu’il baisait en sanglotant, il la serrait contre son cœur. Elle le regardait avec une mélancolie infinie où luisait cependant un peu d’espoir. L’expérience que le vieux prêtre lui avait indiquée, sans oser la lui conseiller, avait réussi. Sa douleur venait d’avoir raison de l’orgueil d’Albert, sur un point. La suite du travail annoncé comme possible par l’Oratorien s’accomplirait-elle ? Gabrielle voulut l’espérer et elle dit au père : « Monte embrasser ta fille, mon ami… » mettant ainsi entre eux deux, et tout de suite, l’enfant à cause de qui elle était revenue, et dont la piété défendue par elle, — à quel prix ! — lui obtiendrait peut-être en retour, plus tard, ce vrai mariage qu’elle souhaitait si passionnément. Mais quand ?… Et si, comme il était très probable, Albert cédait un jour sur ce point