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UN DIVORCE

minutes, et elle serait ici. Depuis le moment où il avait introduit Darras dans son cabinet de travail, le prêtre ne faisait que penser au résultat possible d’une telle entrevue et de sa surprise. Dès la veille et aussitôt que Mme Darras était venue lui raconter son imprudente fuite il avait prévu le cas où le libre-penseur céderait sur ce point de mariage religieux et il s’était mis en mesure, à l’insu de Gabrielle même, pour que cette cérémonie fût rendue aussi aisée que le permettent d’inflexibles règles. Il était allé à l’archevêché demander, et il avait obtenu la dispense de toute publication, la dispense aussi de cet empêchement dirimant qu’implique par elle seule une situation comme celle où vivaient les Darras. Il avait passé chez le curé de Saint-Sulpice. Là il avait demandé et obtenu l’autorisation de faire lui-même ce mariage. Il n’avait qu’à se procurer deux témoins, deux employés, par exemple, de cette église de Saint-Sulpice, à quelques pas, et le mariage pouvait se célébrer dans cette petite chambre. Quelques mots prononcés devant lui et devant ces témoins, et Gabrielle et Darras étaient unis devant l’Église. Ce cruel antagonisme qui risquait d’aliéner pour toujours l’une de l’autre ces deux âmes, si dévouées et si sincères, était résolu. — Résolu ?… Ou bien exaspéré ? M. Euvrard n’osa pas hasarder l’alternative. Si Darras, dans cette rencontre inattendue avec sa femme, s’emportait en effet à un tel éclat que celle-ci ne pût plus jamais se décider au retour ? Si surtout ses préjugés contre l’Église le faisaient se révolter contre une facilité où il voudrait ne voir qu’un vain formalisme, au lieu d’y reconnaître une admirable et maternelle indulgence ? Le prudent Oratorien se tut donc.