Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
309
LA PRISON

« qu’une mère chrétienne ait tremblé en vous voyant dans de pareilles dispositions, qu’elle ait perdu la tête, qu’elle ait voulu sauver la foi de son enfant en vous arrachant l’enfant elle-même ? »

— « Elle n’avait qu’à rester, jamais je n’aurais manqué à ma parole de la laisser élever sa fille religieusement. »

— « Je vous poserai de nouveau ma question de tout à l’heure, à laquelle vous n’avez pas répondu », reprit l’Oratorien : « Et maintenant, si elle rentrait, vous considéreriez-vous comme dégagé de cette parole ? »

— « Non, » fit Darras, après quelques instants de silence. Son passionné visage exprima le trouble nouveau où l’avait jeté cette interrogation si directe, esquivée une première fois. « Je n’en aurais pas le droit, puisque les choses reviendraient en l’état. Je ne veux pas que Mme Darras puisse relever un seul manquement de ma part au contrat moral que nous avons passé ensemble. Vous m’avez dit que la justice est ma religion. C’est vrai, et je vous en donne la preuve. Je ne me servirai pas du prétexte le mieux fondé pourtant et qui m’affranchirait d’une clause de ce contrat, celle qui m’a toujours été très pénible, qui m’est odieuse maintenant… Mais ce n’est qu’un prétexte. Non, non, je ne m’en servirai pas… »

Le Père Euvrard eut sur les lèvres cette phrase qu’il ne prononça point : « Attendez alors, pour lui renouveler cette promesse à elle-même. » Il avait été convenu en effet la veille avec Mme Darras qu’elle viendrait à midi chez l’Oratorien, savoir le résultat de la démarche qu’il devait tenter rue du Luxembourg dans la matinée. Encore vingt