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UN DIVORCE

est arrivée. Elle était assise où vous êtes… Ah ! monsieur, si vous aviez vu ses larmes, si vous aviez entendu ses plaintes, vous ne me refuseriez pas cette concession à ses croyances qu’elle vous redemande aujourd’hui par mon entremise. Mettre une âme en demeure de choisir entre sa foi et son amour, entre sa conscience de chrétienne et le plus cher sentiment de son cœur, quand d’un mot on peut finir cet horrible conflit, j’en appelle à votre sens de justice, monsieur Darras, parce que je sais que la justice, c’est votre religion à vous, est-ce juste ? Plus simplement, est-ce humain ? »

— « Et moi, monsieur Euvrard, » répondit Darras, « je vous demanderai s’il est humain, s’il est juste de venir dire à quelqu’un : « Voilà douze ans que tu as fondé un foyer, avec toute la loyauté, toute l’affection dont tu étais capable ; douze ans que tu n’as travaillé, peiné, respiré que pour ce foyer. Tu en as défendu l’honneur contre les préjugés du monde. Tu en as eu l’orgueil et l’amour. Tes émotions d’époux et de père ont été toute ta raison d’être, toute ta joie de vivre… Maintenant tu vas déclarer que ce foyer n’était pas un foyer, que tu n’avais pas le droit de le fonder, que ta femme n’était pas ta femme, qu’elle était restée, ces douze ans durant, celle d’un autre et que tu le reconnais, que ta fille était née dans des conditions de moralité inférieure. Oui, tu vas le déclarer, publiquement, et sans le croire, devant le représentant d’une religion contraire à tes convictions les plus établies, c’est-à-dire que tu vas te déshonorer à la fois dans le passé et dans le présent. Sinon, ta femme s’en ira de chez toi. On te forcera de lui disputer légalement ton enfant. Tu veilleras seul à ce foyer qui te