Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
UN DIVORCE

yeux de l’Église. Vous me le dites, et je le sais. Vous ajoutez qu’il ne pourra jamais compter. Sans doute, tant que le premier subsistera. Mais si ce premier était cassé ? L’Église n’admet pas le divorce. Soit. Mais elle admet l’annulation. Il y a treize ans, lorsque j’ai entrevu la possibilité de ce second mariage, j’ai pensé à m’adresser à Rome. Je ne l’ai pas fait. Mon futur époux y répugnait, et moi-même j’avais si peu de foi !… Est-il trop tard aujourd’hui ? Puisque l’Église m’impose de me soumettre à ses lois, elle me doit de m’en donner les moyens. Les motifs que j’aurais allégués à cette époque, je les alléguerai. Ils n’ont rien perdu de leur force. Je vous ai dit que mes parents m’avaient mariée. S’ils ne m’ont pas contrainte, au sens matériel du mot, il n’en est pas moins vrai que leur pression a influencé ma volonté. Je n’ai donc pas agi en pleine liberté. Dans tous les cas, je n’ai certainement pas su qui j’épousais. Si je l’avais su, je serais morte plutôt que de subir cette abominable union. Entre mon premier mari et moi, il ne s’est agi ni d’un désaccord d’humeur, — j’ai tout supporté de ses défauts de caractère, c’était le père de mon fils, — ni d’une infidélité. Il m’a trompée, et j’ai pardonné… Je n’ai pu ni supporter, ni pardonner le vice le plus abject, le plus dégradant pour des personnes de notre classe. Cet homme buvait, et l’ivresse le rendait furieux. Cinq années durant, à cause de mon fils, j’ai subi d’horribles scènes où les menaces et les brutalités n’étaient pas le pire dégoût. Je n’ai trouvé la force de me sauver que le jour où ma vie et celle de l’enfant ont été en danger. Il m’avait frappée, moi, avec une telle violence que j’ai mis des semaines à m’en remettre, et il