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UN DIVORCE

elle m’a déclaré qu’elle ne pouvait plus vivre avec moi, que si elle s’en allait je reprenais ma fille et tous mes droits de l’élever d’après mes idées. Elle s’en est allée ; je reprendrai ma fille, je l’élèverai d’après mes idées. C’est la mère qui l’aura voulu. »

Il avait parlé avec autant d’âpreté dans la voix que si Gabrielle eût été réellement là devant lui, au lieu du vieil ecclésiastique à la soutane délabrée, qui l’écoutait en l’enveloppant d’un regard d’une pénétration singulière. Le fait seul que le mari, si ombrageux pour ce qui intéressait l’intimité de son ménage, engageât cette discussion, attestait quelle déférence l’attitude de M. Euvrard lui inspirait déjà, même à travers ses préjugés. C’était le signe aussi du trouble intérieur devant cette question de conscience que les plus déterminés fanatiques ne résolvent pas sans trouble : l’arrachement de Dieu hors du cœur d’un enfant. Il y avait dans l’accent de Darras une protestation contre cette responsabilité. Cette nuance n’échappa point à la sagacité de l’Oratorien, qui interrogea :

— « Et maintenant, si Mme Darras rentrait chez elle, vous considéreriez-vous comme dégagé de votre parole ?… »

— « Si elle rentrait ?… » fit. Darras vivement. « C’est cela qu’elle vous a chargé de me demander ? Elle veut rentrer ?… »

— « Notre entretien a dévié, » dit M. Euvrard sans répondre positivement à la pressante phrase de son interlocuteur. — Il avait repris son accent méthodique où reparaissaient les habitudes d’ordonnance et de lucidité dans l’exposition, contractées devant le tableau noir. — « J’en étais à vous expliquer de sa part quels sentiments l’ont