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UN DIVORCE

était devant la vieille maison de la rue Servandoni. La pensée que Gabrielle était venue là à son insu, qu’elle avait demandé le logement du prêtre à ce même concierge, qu’elle avait traversé cette même cour où verdoyait le jardinet central, gravi ces mêmes marches du misérable escalier de bois, rendit au mari la colère de ses plus mauvais moments. Il lui était si dur qu’au lieu de lui écrire, sa femme se fût adressée à un intermédiaire ! Et quel intermédiaire ? Quelqu’un dont ils avaient parlé, au sujet duquel ils avaient échangé des paroles si amères !… Cette indignation passa dans le coup de sonnette impérieux par lequel il annonça sa visite, et dans l’accent agressif de ses premières paroles. Le Religieux proscrit était venu lui ouvrir la porte, comme à Mme Darras l’autre jour et, comme l’autre jour, il tenait à la main un morceau de craie blanche, ayant été interrompu par l’appel du timbre au milieu d’un de ses calculs. Il avait toujours sa mine chétive et embarrassée de savant égaré dans la vie. Sa soutane était seulement un peu plus râpée, les ailes grisonnantes de sa chevelure roussâtre un peu plus longues, la pièce où il introduisit son visiteur un peu plus encombrée de livres, de papiers et de brochures. Mais, cette fois, ses clairs yeux bleus n’avaient pas exprimé une seconde le désarroi d’un songeur à demi éveillé de ses chimères. Il avait du premier regard deviné qui était cet homme au visage maigre et creusé d’anxiété, aux prunelles noires et brûlantes de fièvre, au geste saccadé, à la voix dure, et il avait aussitôt trouvé en lui même, pour accomplir sa mission de charité, cette force sacerdotale qui avait tant frappé Gabrielle, lors de sa première visite, quand le bonhomme