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LA PRISON

avoir causé avec l’avocat, il se rendrait à son bureau. Telles étaient les incohérences de ses nerfs, ébranlés par ces trente-six heures passées presque sans sommeil, et par les secousses d’une si poignante incertitude : il éprouva, à ne pas rencontrer Carrier, un soulagement bien contraire à l’habituelle logique de sa vigoureuse volonté ! Sa rentrée rue du Luxembourg, après cette course, n’était pas une moindre faiblesse. Il y rentra cependant. Il se reprochait cet enfantillage en l’accomplissant. Dès l’instant que Gabrielle lui avait caché depuis ces deux jours l’endroit où elle s’était retirée après son incroyable départ, quelle raison avait-elle de le lui faire connaître maintenant ?… Il espérait si peu le message pourtant si ardemment convoité, qu’il demeura presque aussi stupéfié qu’il l’avait été de ce départ, en apercevant, sur le plateau de l’antichambre où l’on déposait la correspondance, non pas une lettre ou une dépêche, mais une simple carte cornée sur laquelle il lut le nom de M. l’abbé Euvrard, membre de l’Institut. Au crayon, l’Oratorien avait écrit : reviendra à deux heures, si M. Darras veut bien lui faire l’honneur de le recevoir. Il avait ajouté son adresse au-dessous… Deux heures ? Il en était onze. Darras ne réfléchit pas. Il ne se demanda pas ce qu’il dirait au prêtre, ni s’il ne nuirait pas à son autorité dans les négociations à entreprendre, en montrant cette hâte à rencontrer l’émissaire de sa femme. Car M. Euvrard venait certainement de la part de Gabrielle. Cette évidence ne permettait pas l’attente à Darras. Ces trois fois soixante minutes lui représentaient un infini de tortures qu’il ne voulait pas, qu’il ne pouvait pas supporter, et, moins d’un quart d’heure après avoir reçu cette carte, il