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UN DIVORCE

cience, et Gabrielle aussi s’était réclamée de la sienne. En lui demandant que leur mariage fût célébré catholiquement, à quoi avait-elle obéi ? À sa conscience. En s’en allant ? À sa conscience encore. « Un contrat une fois passé est définitif, » se disait Darras, quand cette objection se présentait à son esprit. « Elle était ma femme. Elle n’était pas libre d’agir comme elle agit… » Mais lui-même, comment allait-il agir, pour revendiquer ce droit de reprendre sa fille ? Toute cette seconde journée se dépensa à débattre avec lui-même le moment où il se déciderait à la toute première démarche. Elle était bien simple cependant. Elle consistait, ne voulant à aucun prix avoir recours à la police, à consulter un avocat. Il en avait un très sûr, très habile, et qui était au service du Grand-Comptoir. Le consulter, c’était lui raconter d’abord l’histoire intime de son mariage, le mettre au courant de la tragédie familiale qu’ils avaient traversée, lui et Gabrielle, c’était accuser celle-ci. Par un détour trop naturel de sa sensibilité, cette perspective ravivait en lui son amour, et il recommençait indéfiniment cette litanie de détresse : — « Elle est partie, partie, comment a-t-elle pu ?… »

Après une seconde nuit, employée, comme la précédente, à se déchirer le cœur de regrets et l’esprit d’incertitudes, il finit pourtant par conclure : — « Hésiter davantage est une lâcheté. Je vais parler à M. Carrier. » — C’était le nom de l’avocat. — Et il sortit de chez lui pour aller droit chez cet homme qui habitait à l’autre extrémité de Paris. Ce ne fut pas toutefois sans avoir attendu le premier courrier. Il s’était dit qu’après