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LA PRISON

faisait seule la réponse, et, assis au pied du lit voilé de sa guipure, regardant autour de lui le visage muet de cette pièce, à demi éclairée par la flamme mince de la lampe, l’époux délaissé se sentait triste, triste à souhaiter de mourir là, parmi les reliques de sa félicité — à jamais détruite, si sa femme ne revenait pas, et, même si elle revenait, trop menacée !

— « Il faut cependant que j’aie pris un parti…, » se dit-il au lendemain de cette nuit d’insomnie. Derechef il avait espéré que la matinée ne se passerait pas sans qu’il eût un télégramme ou une lettre. Chaque heure, en augmentant la culpabilité de Gabrielle à son égard, augmentait aussi son irritation. Il s’efforça pourtant de poser le problème avec autant d’impartialité que s’il se fût agi d’un autre : — « Quel serait le droit de tout père dans mon cas ? Quel serait son devoir ? Où est la justice ?… Mon droit, c’est d’avoir ma fille. » On se rappelle dans quels termes religieux il parlait habituellement des articles du Code relatifs au mariage. Ces textes lui revenaient à la mémoire pour appuyer son affirmation : « Les époux contractent ensemble, par le fait seul du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants… — La femme doit obéissance à son mari… » — « Ensemble ? » concluait-il, « mais si la femme refuse de remplir son rôle d’épouse ? Si elle se révolte ? Alors, elle est déchue de son droit, et le père, lui, garde le sien… » Il cherchait par ce sophisme à endormir un scrupule qui tenait à l’ensemble de ses idées sur la société, singulièrement contradictoires, comme il arrive aux moralistes de son type, chez lesquels le souci du bien général s’associe à des principes d’un individualisme foncièrement anarchique. Il parlait toujours de sa cons-