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UN DIVORCE

avaient erré sur tous ces meubles clairs. Les mules où jouaient ses pieds nus s’étaient posées sur ce tapis. Les bibelots d’argent ciselé de la table à coiffer avaient été touchés par elle le matin encore. Il n’était pas un des tableaux appendus sur la tenture gaie des murailles auquel le mari ne pût rattacher un des épisodes de leur ménage. En passant ainsi la revue de ces petites choses, il constata qu’un cadre de cuir, où se trouvait un de ses portraits, n’était plus sur le petit bureau d’angle. L’absente l’avait emporté avec elle. Ce signe qu’elle n’avait pas cessé de le chérir, même en le fuyant, lui mit des larmes aux yeux. Pourquoi, depuis ce premier jour où elle lui avait avoué sa dévotion renaissante, l’avait-il laissée s’isoler de lui comme il avait fait ? Pourquoi ces scrupules et ces timidités qui l’avaient empêché de dormir auprès d’elle depuis tant de nuits ? Leur malentendu n’eût pas tenu contre cette douceur des caresses qui abolit tout entre un homme et une femme qui s’aiment, comme ils s’aimaient encore, malgré l’âge. Et maintenant, reviendrait-elle jamais animer de nouveau cette pièce déserte, de sa grâce un peu meurtrie par la vie, mais si puissante toujours sur son cœur ? Et si elle revenait, leurs extases d’autrefois ne seraient-elles pas empoisonnées par ses remords ? Ne verrait-elle pas un péché dans un bonheur qu’elle considérerait maintenant comme défendu ? Les enivrements de jadis étaient-ils à jamais finis ? La récompense des longues fidélités conjugales leur serait-elle refusée, cette lente et douce transformation de l’amour permis en une amitié unique, infiniment confiante, infiniment aimante ?… Insensé ! Cette chambre vide, où Darras cherchait sa femme absente et ne la trouvait pas,