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LA PRISON

qu’il courait à sa poursuite, sans indice, sans direction ? Il voulut croire qu’en effet elle ne pouvait pas ne pas s’être déjà repentie. Il prit une voiture, pour arriver chez lui vite, et retrouver sa maison, — leur maison, — aussi vide, aussi muette qu’à l’instant de sa sortie. Gabrielle ne lui avait même pas envoyé une dépêche, pour qu’il eût au moins, dans sa solitude, un signe de son existence et de celle de leur enfant.

La nuit qui suivit cette affreuse soirée se passa tout entière pour Darras en allées et venues entre sa bibliothèque et la chambre de Gabrielle. Les résolutions violentes continuaient d’alterner en lui avec les attendrissements passionnés. Tantôt il reprenait son projet de les faire rentrer toutes deux, la mère et la fille, par la coaction légale, et cette vision de dureté, devant laquelle il avait d’abord éprouvé une si magnanime répulsion, lui procurait un cruel délice. Cette fuite de sa femme et cet enlèvement de l’enfant constituaient un procédé trop indigne, qui l’atteignait trop au vif de son amour-propre d’homme ! Il en tirerait cette brutale vengeance de prouver qu’il était le maître… Tantôt, au contraire, l’orgueil et la rancune fondaient à la chaleur du désespéré et tendre regret qui le torturait. Dans cette chambre à coucher, encore remplie de la présence de sa femme, l’évocation de leur intimité de tant d’années se faisait trop forte. Il respirait le délicat parfum dont elle se servait et qui s’associait pour lui à son sourire, à ses regards, à ses baisers. La grande glace de l’armoire, laquée de vert pâle, semblait avoir retenu la silhouette gracieuse de la chère créature ; l’oreiller du lit l’empreinte de sa tête. Ses belles mains