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UN DIVORCE

beau-fils avait pris une chambre. Il connaissait l’adresse par le commissionnaire venu, le premier soir, chercher les effets du jeune homme. À sa question, le logeur répondit que M. de Chambault était justement parti le soir même.

— « Seul ? » osa demander le beau-père.

— « Seul, » lui fut-il répondu.

Cette démarche avait été bien insensée. Dans son délire, le mari abandonné en hasarda une autre, plus extraordinaire encore. La rue Monge est toute voisine de la rue Rollin. Il poussa jusque-là. Peut-être, par Berthe Planat, saurait-il où se trouvait Lucien. Au domicile de l’étudiante, il apprit qu’elle aussi était partie, il y avait quelques heures. Lui, le puritain, il ne craignit pas d’acheter à prix d’argent un renseignement plus précis ; Lucien était venu la prendre, et c’est en sa compagnie qu’elle s’en était allée, pour une absence prolongée et sans fixer l’époque de son retour. Les jeunes gens avaient réalisé le projet annoncé par le fils à la mère. Cette froide nuit de printemps, qu’une bruine commençante glaçait encore, était sans doute la nuit de noces des deux amoureux que Darras envia soudain de tout son pauvre cœur déchiré. Ils n’avaient qu’une foi du moins, qu’un idéal, qu’une croyance ! Qu’il avait passionnément souhaité, l’autre semaine encore, de sauver son beau-fils de cette aventure ! Il fut étonné d’y demeurer si indifférent. La préoccupation de sa femme abolissait tout. Il ne vit dans cette nouvelle que ce fait : Gabrielle n’était pas venue demander secours contre lui à Lucien. Mais où était-elle ?… Une autre hypothèse, non moins folle, se présenta soudain : si pourtant elle était rentrée rue du Luxembourg, tandis