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UN DIVORCE

tant soif. Il était plus de six heures quand il sonna enfin à la porte du petit hôtel. Il le contempla, comme Gabrielle l’avait contemplé, après sa visite au Père Euvrard, avec la nostalgie du bonheur encore possible, mais si compromis ! Absorbé par l’attente anxieuse de l’accueil qu’elle allait lui faire, il ne remarqua pas le singulier regard du domestique qui lui ouvrait la porte. Il monta jusqu’à sa chambre ; puis, comme sa femme ne venait pas, suivant sa tendre habitude de leurs bons jours, lui demander s’il n’avait besoin de rien, il voulut la devancer et lui prouver qu’il ne lui gardait pas rancune. Il entra donc dans le petit salon où elle devait se tenir. Elle n’y était pas… Il alla frapper à la porte de la chambre à coucher. Elle n’y était pas non plus… L’attendait-elle dans son bureau ? Non. Cette pièce aussi était vide… Sans doute Gabrielle se trouvait occupée auprès de sa fille dans la salle d’études. Darras gravit les marches de l’escalier qui menait au second étage, avec un pressentiment qui se changea en une véritable angoisse lorsqu’il eut constaté que cette salle d’études était vide, vide la chambre où dormait la petite, vide la chambre de l’institutrice… Après tout, Mme Darras pouvait être sortie avec sa fille, et Mlle Schultze. Il sonna. Le même domestique qui lui avait ouvert vint à son appel, et, cette fois, le mari ne se trompa point à sa physionomie. Un événement grave était survenu. Quel événement ? Même à cette seconde d’un terrible soupçon, l’instinct de protection qu’il avait toujours éprouvé pour Gabrielle se réveilla en lui, et ses interrogations, qui lui brûlaient le cœur à les formuler, demeurèrent assez vagues, assez mesurées pour que le drame dé-