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LA PRISON

pête intérieure. Tout en écoutant ses interlocuteurs et en leur répondant, il ne cessa pas d’avoir devant les yeux le visage de sa femme, avec l’expression d’épouvante affolée qu’y avaient éveillée ses implacables paroles. Lui-même en ressentait une constriction au cœur, une fièvre dans le sang, une angoisse à la poitrine, un malaise dans tout l’être. Et cependant, à la seule idée de rentrer chez lui, s’il devait se retrouver en face de cette même rébellion, lutter contre cette même manie religieuse, se heurter à ce même obstiné désir d’un mariage outrageant pour leur passé, l’indignation le reprenait. Il était de nouveau soulevé par l’espèce de frénésie qui, tout à l’heure, avait éclaté en regards, en gestes, en exclamations de haine. C’était alors une douleur insoutenable : sa Gabrielle, cette douce amante de sa première jeunesse, la compagne adorée de son âge mûr, se confondait avec cette Église dans laquelle il s’était habitué à condenser toutes les erreurs, tous les mensonges, toutes les injustices. L’appréhension que cette intolérable et insoluble dispute recommençât aussitôt qu’ils seraient en présence, la certitude qu’il s’y montrerait plus violent encore, une obscure honte en même temps et de cuisants remords d’avoir fait mal à sa chère amie, que de sentiments s’émouvaient en lui ! Ce tumulte de ses pensées contradictoires était si intense qu’il voulut s’en être rendu maître avant de rentrer. Il revint à pied de l’avenue de l’Opéra jusqu’à la rue du Luxembourg, lentement, par le chemin le moins direct : la place de la Concorde, celle des Invalides et les boulevards qui suivent, jusqu’à la place de l’Observatoire, reculant ainsi la minute d’un retour dont sa passion avait pour-