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UN DIVORCE

sa montre et dit : — « Deux heures et quart, je suis attendu à mon bureau. Quand je rentrerai, j’espère te trouver plus sage. Adieu… »

Pour la première fois peut-être depuis qu’ils habitaient cette maison, il sortit sans avoir mis un baiser sur le front de sa femme, sans l’avoir même regardée. Il venait, dans l’emportement d’une colère où ses peines de ces derniers jours s’étaient comme déchargées, de prononcer des mots trop violents pour qu’il n’en éprouvât pas un regret. Il avait passé du petit salon dans sa chambre afin d’y prendre son pardessus et son chapeau. Il demeura quelques instants de plus qu’il n’était nécessaire, dans l’espérance que Gabrielle, le sachant là, aurait un mouvement vers lui et viendrait avant son départ le supplier qu’il ne la quittât pas ainsi. Elle ne vint pas. Un passionné désir de retourner lui-même auprès d’elle le saisit alors. Il n’y céda pas. Le souvenir de certains cris, arrachés à la malheureuse femme par l’exaltation, lui avait soudain refermé le cœur, par exemple cette phrase sur leur fille : « Nous n’avions pas le droit de l’avoir… » et, sur leur ménage : « Je ne suis pas ta femme. Je ne la suis pas… » Il se dit : « Si je ne lui tiens pas rigueur maintenant, où irons-nous ? Il faut qu’elle voie, à mon mécontentement, qu’elle ne doit plus recommencer. » Et il sortit de la maison pour gagner tout droit son bureau, où il avait en effet quelques rendez-vous importants. Ni la succession des visites d’affaires qui furent, par hasard, plus nombreuses cette après-midi, ni les efforts d’esprit qu’il dut faire pour discuter plusieurs points d’une extrême précision technique n’eurent raison de la tem-