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UN DIVORCE

et d’une voix où n’hésitait plus la timidité du savant dérangé dans sa méditation, où ne frémissait plus la pitié d’un vieillard ému par une confidence douloureuse. Le religieux édictait, au nom de sa foi, une sentence sans appel, fondée sur une règle indiscutable. La physionomie anxieuse de Mme Darras s’était contractée davantage en écoutant cet arrêt, sans exprimer cependant de surprise. Elle esquissa seulement un geste plus découragé pour répliquer :

— « Je connaissais d’avance votre réponse, mon Père. Elle m’a déjà été faite. Vous l’avez deviné, j’imagine, à l’une de mes phrases : je me suis adressée une première fois à un autre prêtre. Il m’a arrêtée aux premiers mots, comme vous. Je connais d’avance aussi la condition que vous allez m’imposer : quitter mon mari. Laissez-moi vous répéter ce que j’ai dit à ce prêtre… Il y a treize ans, j’en avais vingt-neuf. J’étais la plus malheureuse des femmes. L’homme à qui ma famille m’avait mariée, et dont j’avais dû me séparer, venait de demander et d’obtenir que cette séparation fût convertie en divorce. Il s’était remarié. Je restais seule au monde avec un fils de neuf ans. Les tribunaux me l’avaient donné. Comment l’élever ? Comment tenir tête aux difficultés que le divorce crée autour d’une femme, même lorsqu’elle a le bon droit pour elle ? C’est alors qu’un autre homme, que j’avais connu chez mes parents, sans trop le remarquer, et perdu de vue depuis mon mariage, trouva le moyen de rentrer dans ma vie. J’appris qu’il m’avait aimée jeune fille, sans se déclarer. Il était pauvre alors. J’étais riche. Il ne s’était pas marié, à cause de moi. Il avait travaillé, pour me conquérir quand j’étais