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LA PRISON

en effet, je considérerais comme une lâcheté de feindre des idées que je n’ai pas ? Les convictions qui sont les miennes, je ne me les suis pas faites par caprice. Je ne les ai pas adoptées par intérêt. Elles expriment le plus profond de ma pensée, le plus intime de ma conscience. Je n’ai pas seulement le droit, j’ai le devoir absolu d’agir d’après elles, puisque, pour moi, elles sont la vérité. Me marier à l’église, alors que je suis marié, et de par la loi, depuis douze ans, et que j’ai considéré ce mariage comme suffisant, comme complet, c’est déclarer que je reconnais au catholicisme une valeur que je ne lui reconnais pas. Quand je donne la main à un homme, ce n’est qu’un geste, mais que je ne ferais pas si je méprisais cet homme. Ce n’est qu’un geste aussi, me diras-tu, que de paraître devant un prêtre, avec toi. Mais ce geste implique une adhésion à un dogme que je sais faux, à une hiérarchie que je sais mensongère, à des pratiques que je sais funestes. C’est déjà trop qu’une promesse, arrachée par toi à mon amour, m’oblige à voir ma fille grandir parmi ces erreurs… N’essaie pas d’abuser de ma loyauté sur ce point, car ce n’est que de la loyauté. Ne me tente pas d’y manquer… Finissons donc une conversation qui n’a pas de sens. Nous avons déjà d’assez réels motifs de chagrin, sans nous en créer d’imaginaires. »

— « Ce n’est pas ton dernier mot, Albert ? » implora-t-elle. « Si tu ne crois pas, avec tes idées de justice et de tolérance, tu ne peux pas vouloir m’empêcher de croire. »

— « Quand t’en ai-je empêchée ? » répondit-il âcrement.

— « Mais tu m’en empêches », gémit-elle, « en