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LA PRISON

— « Maintenant, » interrompit-elle, « je n’ai plus cette joie et cette fierté, c’est vrai… Je ne les aurai plus jamais. Je me suis humiliée sous l’épreuve. Je suis brisée pour ce qui me reste de vie. Il dépend de toi, Albert, que j’aie dans cette misère un peu de consolation. Je l’aurai, si j’ai la paix de la conscience par les sacrements, si je me confesse et si je communie, et surtout si je puis vous embrasser, ma fille et toi, sans remords. Il me faut de la force, vois-tu, pour supporter l’idée de la déchéance de mon fils et de l’existence qu’il va mener avec cette créature. Je n’en trouverai que là. Si tu m’aimes, ne refuse pas, ne discute pas. Tu avais rêvé de m’épouser quand j’étais une jeune fille. Alors, ce mariage eût été certainement religieux, et tu y aurais consenti. Tout ce que je te demande, c’est de faire aujourd’hui ce que tu aurais fait alors. Tu ne m’auras jamais donné une plus grande preuve d’amour, et j’en ai tant, tant besoin !… »

— « N’insiste pas davantage, » répondit-il, d’une voix plus impatiente encore, » c’est inutile. Si je t’avais épousée jeune fille, j’aurais accepté cette condition du mariage à l’église que tes parents auraient exigée. Je ne l’aurais pas fait sans une grande lutte intérieure. À cette époque, je ne croyais pas plus que je ne crois à présent, et ces concessions de conscience sont toujours funestes. C’est par elles que sont créées ces hypocrisies de mœurs qui prolongent indéfiniment les pires mensonges sociaux… Mais, à ce moment-là, ce mariage n’eût signifié qu’un préjugé de ta famille et que ma complaisance. Il n’aurait pas constitué un outrage à tout un passé d’honneur et de loyauté. Voilà ce qu’il serait aujourd’hui, la condamnation publique